Je suis aujourd'hui en verve de sujets d'articles, et il se trouve qu'un article sur un autre blog a éveillé mon attention sur un sujet qui est loin de faire l'unanimité, le port de la burqa ou encore du burqini ou de tout costume "intégral" imposé par une certaine vision de l'islam, le tout en France.
Ca se passe ici, sur un site que je vous ai déjà par ailleurs recommandé, mais qui, à mon avis, fait complètement fausse route sur le problème.

Celui-ci, comme vous le savez, concerne donc l'éventualité d'interdire, par un texte, le port de ce type de vêtement que l'on peut sans se méprendre qualifier d'islamiste. Cette pratique semble concerner une extrême minorité de femmes en France, cependant, et en tant que bon juriste, ce critère doit être totalement indifférent à déterminer si oui ou non ce comportement doit être illégal. On ne juge pas de la régularité d'un acte au nombre de ses pratiquants, et sa faible pratique actuelle pourrait même être un argument supérieur pour imposer la prise d'une loi : Agir tout de suite pour stopper un comportement répréhensible avant qu'il ne se développe.

Dans ce cas, qu'est ce qui peut m'inciter à penser avec une certaine ferveur qu'une loi serait totalement inutile voire dangereuse?

Prenons d'abord un premier argument, ô combien humaniste : Le port de la Burqa est le symbole d'une infériorité de la femme sur l'homme, ce que la République condamne fermement. Ce type de symbole ne peut pas être toléré en France, une loi est donc tout à fait adaptée.
Il est vrai qu'il est interdit en France de traiter quelqu'un comme lui étant inférieur, pour tout un tas de raisons et notamment à cause de son sexe. Et même dans le cas d'une subordination hiérarchique, il convient de rester dans le strict cadre de cette subordination sans déraper vers un manque de respect ou tout type d'abus de pouvoir.
Pour autant, le fait est que l'on ne peut pas interdire à quelqu'un, fusse une femme, de se soumettre à quelqu'un d'autre, fusse un homme, et même pour des raisons religieuses. Une telle interdiction ne peut qu'aller à l'encontre de la volonté propre de cette personne ce qui est aussi contre les lois de la République, et j'invoquerais même la Constitution, voire deux articles plus bas. On interdit toute atteinte physique, même volontaire pour la victime, au nom de la préservation de l'intégrité physique, considérée comme un principe supérieur (amis BDSM, vous êtes prévenus, certaines limites sont à ne pas dépasser...). De même, on peut interdire à un homme de tenir sa femme en laisse dans la rue car, outre un aspect ouvertement sexuel, il y a un caractère particulièrement dégradant à ce traitement qui assimile la femme à un chien et l'homme à son maître.
Pour la burqa, on pourrait penser qu'il s'agit aussi d'un vêtement dégradant. Néanmoins, cela ne réduit en rien la personne à l'état d'animal et ne montre pas ouvertement un état de soumission. Tout au plus, il s'agit d'un message de renfermement sur soi, de refus de communication, d'extrèmisme, ou encore de l'altération de son libre arbitre. Mais toute ces choses, à part la dernière, ne sont pas interdites par la loi, heureusement pour les ados mal dans leurs peaux.

Prenons donc ce problème du libre arbitre. La Burqa serait portée uniquement par des femmes que l'on oblige à une telle démarche, de façon violente ou par manipulation. Evidemment, on prend peu de risques à supputer qu'une personne qui adopte un tel "vêtement" ne le fait pas pour son pur plaisir mais subi surement des pressions extérieures, familiales ou communautaires, qui la poussent à cela.
Cependant, il faut soulever le problème de ces femmes qui revendiquent être libres, indépendantes et avoir choisi ce mode de vie pour "en revenir à la pratique fondamentale de l'islam", ou par pudeur, ou autre. Qu'elles existent ou non, ils sembleraient qu'elles se fassent rares sur la vie publique, mais cependant pas totalement absentes. Le problème, même théorique, est donc entier : Si l'on interdit la burqa au nom de l'oppression des femmes qui la portent, on oppresse par le fait même celles qui auront choisi volontairement de la porter. Il s'agirait d'un sophisme consistant à dire : Les islamistes qui oppressent les femmes leur font presque toujours porter la Burqa, donc toute femme portant la burqa est forcément obligée de le faire.
Si on ne peut pas interdire le port de la burqa pour ce motif, je ne suis pas pour autant en train d'insinuer qu'il faut laisser une situation telle que celle-ci perdurer. Rien n'empêche de donner les moyens, à celles qui sont opprimées de se défendre : donner des moyens aux associations, aux services sociaux, renforcer l'aide juridictionnelle pour leur donner les moyens d'accéder à un avocat... Il existe des textes pénaux qui condamnent le harcèlement, les menaces, la manipulation et les atteintes à la laicité. Peut être mériteraient-ils d'être étoffés pour créer un délit spécial (spécialement plus grave?) d'oppression d'une personne pour des raisons religieuses. Ce délit permettrait d'éviter de stigmatiser la religion musulmane tout en offrant une protection globale contre toute oppression, et pas uniquement pour un fait isolé qu'est la burqa. En même temps, celles qui souhaitent porter la burqa ne se verraient pas opprimées dans leur choix, si difficile à comprendre soit-il.
Pour repérer ces femmes opprimées, il est sûrement bien plus efficace de les inciter à sortir de chez elles, même en Burqa pour pouvoir les repérer, plutôt que de leur interdire toute sortie au risque que leur situation ne soit jamais dévoilée.

Dernière raison pour interdire la burqa, et non des moindres : La burqa est un signe distinctif religieux ostentatoire qui porte donc une atteinte à la laicité. Une bonne fois pour toute, j'aimerais rappeler que même se balader avec une croix géante clouée dans le dos ne porte pas atteinte à la laicité : Il ne s'agit pas d'imposer à qui que ce soit sa religion, ni même de faire de la propagande, mais uniquement de la montrer, de façon certes ostentatoire, mais qui ne nuit pourtant à la liberté de personne.
Je laisse de côté les arguments selon lesquels l'avènement de la burqa est un coup des talibans qui cherche à dominer la France entière, et que si on ne fait rien bientôt celle-ci sera perdue, livrée aux mains de 300 islamistes et leurs femmes voilées. On ne fait pas, ou plutôt on ne devrait pas faire des lois avec pour argument "Si vous n'êtes pas content vous n'avez qu'à retourner chez vous et toc". L'idée de "on ne voit pas leur visage, c'est inhumain" n'est ni objective, ni juridique, c'est purement culturel et cela n'a pas à s'imposer comme la norme pour tous.
De même, la France peut prendre une loi contre la burqa sans que la fin du monde soit déclarée dans la minute. La théorie du complot n'est pas le fruit de jeunes femmes paumées, ou manipulées ou même violentées ni même de leurs maris si violents soient-ils et si les talibans pouvaient vraiment nous menacer et nous livrer une guerre sans merci à coups d'attentats terroristes, pouvez-vous m'expliquer pourquoi ils ne le font pas? Bien sûr, le risque d'attentats n'est pas nul (pourquoi croyez-vous que je ne vive pas à Paris? Pas folle la guêpe) et même si les islamistes ne sont pas tous des bouseux dans des grottes, ils n'ont pas la force d'une véritable armée organisée.
Je disais donc, parce que je m'emporte, la laicité. Il faut rappeler, à toutes fins utiles, que ces fameux signes ostentatoires ont bien été interdits dans les établissements scolaires en 2004. Il est également interdit pour un fonctionnaire d'en porter, et je doute qu'il soit aisé pour une salariée de se faire embaucher dans ces conditions.
La burqa est donc déjà interdite dans bien des cas, en particulier dans ceux où elle pose un problème pratique ou un problème de neutralité des opinions.

Pour finir, vous seriez en droit de me traiter d'hypocrite si je n'admettais pas que, souvent, les femmes ne la portent pas par gaité de coeur, et que niveau neutralité religieuse, on a vu mieux. C'est pas faux, comme dirait mon ami Perceval. Il n'empêche qu'un texte ne peut pas se permettre de ne porter une interdiction que pour une seule religion et doit pouvoir détailler son interdiction de façon précise. De quel droit peut-on interdire à quelqu'un de sortir entièrement recouvert de la tête aux pieds? Et si l'on parle de "vêtements religieux", comment faire la différence entre quelqu'un qui se barde de foulards de la tête aux pieds et une femme en burqa?

Personnellement, je suis perplexe à l'idée de créer toujours de nouvelles lois pour lutter contre un envahisseur hypothétique là où celles qui existent feraient bien mieux d'être revues pour offrir des recours effectifs contre les victimes de harcèlement ou d'oppression en tous genres.

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Petite illustration spéciale grippe A, auteur :  Delize